Syrie

Taha Zakaria

DE BOECK SUP







Extrait

Introduction La Syrie était considérée comme l'un des régimes les plus stables de la région. Cette stabilité dont le mérite revient à Hafez al-Assad s'est faite au prix d'un immobilisme à tous les niveaux, politique, économique, social et culturel. Si l'arrivée de Bachar al-Assad au pouvoir, alors âgé de 34 ans, est interprétée comme un signe de renouveau et d'ouverture dans une Syrie longtemps fermée et un monde arabe gouverné par des autocrates vieillissants, Bachar al-Assad mise sur les réformes économiques qu'il croit suffisantes et à même de pallier une réforme politique ou une transition vers un modèle démocratique. Lors de son entretien avec le Wall Street journal le 31 janvier 2011, quarante-cinq jours avant le déclenchement du soulèvement syrien, Bachar al-Assad déclarait que les vagues de contestation qui submergeaient la région n'atteindraient pas la Syrie. Son régime jouit selon lui d'une large popularité, en raison de son opposition à l'impérialisme américain et sioniste et du soutien aux mouvements de la résistance palestinienne et libanaise du Hamas et du Hezbollah. Si cette position confère au régime syrien une certaine aura auprès de sa population, son aspect familial, sa violation systématique des droits de l'homme, son caractère ultra sécuritaire et répressif sont autant d'éléments qui le placent parmi les régimes dont la pérennité est menacée par le printemps arabe. Celui-ci a été une surprise, y compris pour les dirigeants eux-mêmes. Pourtant la situation des pays arabes depuis des décennies, qu'elle soit économique ou politique, ne pouvait qu'annoncer ces révolutions. Dans ses discours adressés au peuple syrien, Bachar al-Assad refuse de considérer les protestations populaires contre son régime comme un retentissement du «printemps arabe». Au lendemain des premiers soulèvements pacifiques, Bachar al-Assad utilise l'épouvantail islamiste pour apeurer et diviser les Occidentaux, en accusant les manifestants de vouloir instaurer des Émirats salafistes soutenus par l'étranger, notamment par les monarchies du Golfe comme le Qatar et l'Arabie Saoudite. L'État syrien, assimilé au régime Assad, serait confronté selon lui à une agression extérieure, «un complot planétaire» ourdi par des pays occidentaux comme les États-Unis et dont le but serait la déstabilisation du régime et la partition du pays. Au lieu d'annihiler les aspirations légitimes d'une population bafouée, la violence impitoyable des forces loyales au régime a non seulement renforcé la détermination de la population, mais a aussi contribué à la militarisation d'une révolution qui se voulait pacifique. La révolution syrienne est rattrapée par les appétits voraces dans une région dont les espoirs se trouvent historiquement confisqués. À la différence des régimes égyptien ou tunisien qui tombent relativement vite à la suite des soulèvements populaires déclenchés dans le contexte du «printemps arabe», le régime syrien résiste. Il parvient à une capacité de nuisance inédite, monopolisant l'État, modulant la société et tirant profit des divisions des grandes puissances. Les événements ont montré que la situation politique de la Syrie se forge à la faveur de ses alliances régionales et internationales qui contribuent à brouiller les pistes et à compromettre l'issue du conflit. La singularité du pays est saisie ici à travers l'analyse synthétique de thèmes aussi divers et inextricablement liés que l'histoire, la géographie ou la structure d'une société plurielle. C'est dans ce creuset d'identités multiples que la Syrie, caractérisée par une diversité originelle et constitutive, fonde l'État moderne. La question de l'appartenance identitaire, prégnante aujourd'hui plus encore, est présente dès la naissance de cet État, construction humaine susceptible de mutations profondes dans la crise actuelle. Ainsi les dynamiques identitaires se multiplient tandis que le Baath, le parti qui exerce son monopole depuis 1963, érigeait l'arabisme en culture et identité nationales, tout en menant une politique ambiguë à l'égard des communautés ethniques et confessionnelles ; s'il accepte la pluralité religieuse, il rejette toute reconnaissance officielle des minorités ethniques. Enfin, il convient d'appréhender la nature communautaire et autoritaire du régime syrien tout en considérant le poids de l'islam, le rôle de l'économie et la place de la société civile, ainsi que celle du contexte géopolitique dans le maintien du pouvoir qui s'adapte en fonction de ses besoins de légitimation propre Un facteur essentiel de sa légitimité à l'extérieur est tire de sa lutte contre les islamistes : après quarante années de règne, le régime Assad continue de manipuler les références tantôt religieuses tantôt laïques dans une région où le poids des communautés reste fort.



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EAN
9782804181475
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