180 jours

Sorente Isabelle

LATTES







Extrait

À présent, l'oiseau quitte la branche du hêtre, il s'élance au-dessus de la route. A présent, le gyrophare lance des arcs-en-ciel dans la nuit. À présent, l'oiseau franchit les toits parallèles, il vole jusqu'au dernier bâtiment, ses ailes battent plus vite, comme le coeur affolé de ceux qui respirent à l'air libre, pour la première et dernière fois de leur vie. À présent, les prisonniers lèvent la tête. Ils pourraient devenir fous, tant leur mémoire remue. 1 Tout a commencé par un sursaut. Mon corps s'est cabré dans le lit comme un animal épouvanté. Comme si j'avais reçu une décharge électrique ou dévalé un escalier. Je ne me suis pas rendormi. Le haut-le-corps a recommencé la nuit suivante. Au bout d'une semaine, j'appréhendais moins l'insomnie que l'heure du sursaut. Trois heures du matin, trois heures un quart, parfois trois heures et demie. Je croyais entendre un bruit de moteur, je me redressais dans le lit. Mon coeur galopait, mes jambes tremblaient comme si j'avais couru un marathon. Je me recouchais sur le côté, je me serrais contre Eisa. Mais j'avais beau respirer le parfum de ses cheveux, reconnaître les formes familières de notre chambre, mon coeur cognait dans l'obscurité. Il m'arrivait de tressaillir dans la journée, sans que je comprenne quel détail me rappelait soudain l'heure où j'ouvrais les yeux dans le noir. Tout se passe bien à la faculté, Martin ? demandait Eisa quand je rentrais le soir. Tu es content de tes étudiants ? Depuis que nous vivions ensemble, je me considérais comme un homme heureux. Je m'expliquais d'autant moins cette panique dans les jambes, et ce bond dans la poitrine. Je finissais par m'habituer aux nuits interrompues, je me rendormais avant cinq heures, sauf une fois, où j'ai tenté de voir l'aube par la fenêtre du salon, persuadé, sur le moment, que je me réveillais pour ne pas la manquer. J'avais oublié que du quatrième étage où nous habitions, il est impossible de voir le soleil se lever à cause de l'immeuble en vis-à-vis. Au bout de deux semaines, le sursaut a cessé. Les journées passaient vite, les nouveaux étudiants accaparaient mon esprit, cela n'aurait été qu'un trouble du sommeil lié aux fortes chaleurs du mois de septembre, la météo parlait d'un vrai été indien. J'avais presque oublié, comme la tête oublie vite ce tissu de nerfs et de mémoire en dessous d'elle, comme elle oublie vite, pauvre tête, les spasmes et les craquements, j'avais presque oublié quand je me suis redressé, une nuit d'octobre, à trois heures et demie, le coeur battant. Je me suis rendormi, puis réveillé deux fois. Mes jambes tressautaient, j'ai cru que je fuyais dans un rêve affolant. Au troisième haut-le-corps, je me suis levé d'un bond. Eisa a murmuré dans son sommeil, Martin ? Tout va bien, ai-je dit. Je refusais de me laisser gagner par l'angoisse, j'ai tué le temps en travaillant dans le salon. J'ai attendu qu'il soit six heures pour me préparer un café. Dans la chambre, Eisa dormait toujours, je devinais ses cheveux roux épars sur l'oreiller.



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EAN
9782709636650
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