Le cheval de Margot

Reynaud Florence

FLAM JEUNESSE

Rozenac, septembre 1962

Lucie s'est approchée sur la pointe des pieds. La scène qu'elle observe depuis un moment, dans le pré qui jouxte la ferme, lui brise le coeur. Sa mère est couchée contre le corps d'un grand cheval noir, et au mouvement de ses épaules Lucie devine qu'elle pleure.
- Maman! murmure-t-elle. Est-ce qu'il est mort?
- Oui, il y a quelques instants... Heureusement, je ne l'ai pas quitté. Il a fermé les yeux pendant que je le caressais. C'est une belle mort qu'il méritait, sans violence ni souffrance. Juste la vieillesse, son coeur fatigué...
L'adolescente s'agenouille pour prendre sa mère dans ses bras.
- Je l'aimais tant, mon Marius! chuchote celle-ci. Quand je pense qu'il est né ici, sous ce gros chêne, là-bas.
Lucie n'ose pas regarder le cheval. Marius était une célébrité au village. On disait de lui «ce brave Marius», ou «ce bon Marius». Comme on surnommait sa mère «cette chère Margot» ou «cette courageuse Margot».
- Ma Lucie! dit soudain Margot en essuyant ses larmes, j'avais presque ton âge, treize ans, lorsque la guerre a éclaté. À cette époque, mon Marius débordait de vie, de malice. Un si beau cheval... Il a été réquisitionné.
Lucie connaît un peu l'histoire, que ses grands-parents, Louis et Emilie, lui ont souvent racontée. Mais ce n'était que par anecdotes, sans beaucoup de détails.
- Viens! dit Margot. Ne restons pas là. Ton père m'a promis qu'il enterrerait Marius sur nos terres. Je dois le prévenir...
La jeune femme secoue ses cheveux blonds, longs et frisés, et prend la main de sa fille. En marchant vers la maison flanquée d'une vaste grange et d'une écurie, elle explique tout bas:
- J'étais si triste, quand j'ai su que nous devions remettre nos chevaux à l'armée, à l'automne 1939. Longtemps après, en 1947, j'étais enceinte de toi et je devais garder le lit. Pour ne pas m'ennuyer, j'ai écrit une sorte de récit, sous la forme d'un journal. Oh, j'ai juste résumé mes souvenirs, un peu comme un roman, voilà tout, avec des chapitres, des titres, mais ce n'est pas fameux...
Lucie dévisage sa mère. Elle l'a toujours vue forte, volontaire, veillant sur la bonne marche de la ferme. Ce matin, elle lui trouve un air d'enfant perdu.
- Maman, j'aimerais bien le lire, ce journal... Je t'en prie!
- J'ai failli le jeter dans la cuisinière plusieurs fois! Tu as de la chance, ton père m'en a empêchée. Lui, il y tient beaucoup, à ces pages.
Margot sourit mystérieusement, puis elle se retourne pour lancer un dernier regard bouleversé au cheval noir qui semble dormir sur l'herbe verte.

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EAN
9782081287228
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