Le dernier homme de Fukushima

Pagnotta Antonio

DON QUICHOTTE

Je suis Matsumura!

1er juin 2011. Le rendez-vous avait été pris à l'intérieur de la zone interdite, où le temps s'est arrêté au lendemain du séisme. Il y vivait depuis plus de deux mois dans un désert humain et une atmosphère toxique. Il est le dernier habitant de Fukushima. Pour des raisons d'honneur, il a refusé d'évacuer la zone rouge et défie Tepco, le géant de l'industrie nucléaire et opérateur des centrales accidentées. Dans un acte insensé de résistance, motivé par une légitime colère, il a choisi les radiations plutôt que la soumission. Il est devenu malgré lui l'ermite de Fukushima, le porte-drapeau de la résistance japonaise face au désastre nucléaire, et une icône mondiale. Son nom est Naoto Matsumura. J'avais donc rendez-vous avec le dernier homme debout.
Dans certains journaux étrangers, on parlait de ces rares fermiers qui refusaient l'évacuation des lieux, malgré l'air malsain que l'on y respire. Loin de considérer que seules les causes naturelles avaient provoqué la catastrophe, Naoto Matsumura pointait la responsabilité de Tepco et affirmait son refus d'abandonner sa terre. Sa détermination et son courage avaient été rapportés par une dépêche de l'agence Associated Press. Naoto Matsumura, parmi d'autres agriculteurs aux propos plus mesurés, y exprimait ouvertement son courroux à l'encontre de la compagnie d'électricité. «Tepco disait: Il n'y aura aucun accident, jamais! Tout le monde a été trompé. Alors, je me suis rendu au siège de Tepco, à Tokyo, pour exiger des comptes. Tout ce que les dirigeants ont su dire, c'était répéter à l'infini "sumimasen, je suis désolé".» De l'avis de Matsumura, la compagnie mortifère ne devait pas l'emporter à moindres frais ni enfouir ses fautes dans un lieu déserté, à l'abri du regard des hommes. Son refus d'obéir aux autorités et de se soumettre au silence était un choix humain - un choix pour l'humanité.
«Dans le shinto [la religion née il y a des millénaires au Japon], aucune espèce n'est supérieure à une autre. Toutes les choses, tous les êtres sont égaux parce que la nature contient une dimension sacrée qui mérite notre déférence et respect. Nous devrions tous posséder l'intuition, et comprendre que nous sommes une humble partie de ce délicat tissu de relations que l'on appelle la vie, et au grand jamais son exploiteur ni son destructeur», disait Naoto Matsumura.
Dans l'histoire du Japon et par-delà sa Constitution démocratique, son choix s'inscrit dans une tradition profonde du sacrifice. À chaque grande crise, certains Japonais font preuve d'abnégation, comme ce fut le cas des kamikazes durant la Seconde Guerre mondiale. À la teneur des propos de Matsumura, je compris que son combat le plaçait dans la catégorie bien particulière de ceux qui pensent par eux-mêmes. Dans ce pays où l'on ne prononce jamais un mot plus haut que l'autre, ses propos tranchants m'avaient convaincu de braver la radioactivité et, un moindre mal, la police nippone.

17,90 €
En rupture de stock
EAN
9782359491296
Image non contractuelle