Madame de Pompadour

Muchembled Robert

FAYARD







Extrait



Extrait de l'introduction

À la manière d'une madeleine de Proust qui se trouverait partagée par tous les Français, le nom de la marquise de Pompadour produit une cascade de sentiments et d'émotions d'une grande complexité. Il ne lui a manqué que la naissance royale pour projeter à travers les siècles une image plus brillante que celle de la reine Marie-Antoinette, qu'elle surpassait en charme et par ses remarquables capacités à s'imposer durablement dans le milieu somptueusement, impitoyablement, dangereux de la Cour de Versailles. Jeanne-Antoinette Poisson, marquise puis duchesse de Pompadour, est une incomparable icône féminine qui a laissé des traces fulgurantes, démentant la perfide oraison funèbre de Diderot prévoyant qu'il ne resterait guère, en témoignage de son passage sur terre, qu'un peu de cendres. Son nom fait rêver. Il évoque la beauté, la sienne, intimement entrelacée à celle que diffusent les arts et le décor de la vie aristocratique de son époque, ainsi que la sensualité raffinée et libérée du temps de Louis XV, dont elle fut la maîtresse et la favorite officielle durant près de deux décennies, de 1745 à sa mort en 1764. Si bien que la légende s'est emparée de sa personne dès le moment où elle est devenue le point de mire scandaleux de ses contemporains, en commettant avec le Roi Très Chrétien un double adultère, car elle était officiellement mariée, puis en étant intronisée, au grand dam des censeurs, comme sa concubine déclarée, et en vivant non loin de la reine, qu'elle servit même à titre de dame d'honneur.
Sa vie a été contée de son vivant par des pamphlétaires sur un mode très insultant, origine d'une image noire qui n'a cessé de se développer par la suite, en particulier sous la plume de faussaires littéraires et de prudes historiens bourgeois du XIXe siècle. Il en subsiste de vastes gisements, dans lesquels puisent les malveillants attirés par les parfums délétères répandus à foison sur la divine marquise, voire les écrivains paresseux. Il est vrai que l'intéressée avait du répondant. Ses détracteurs, ou ceux qui la menaçaient, étaient pourchassés, embastillés par lettre de cachet, tel le célèbre Latude, dont les Mémoires et les procès en dédommagement intentés aux héritiers de la favorite ont largement contribué au développement du mythe négatif, en la taxant d'abominable despotisme. Particulièrement consciente du danger d'être haïe de tous, elle avait orchestré et fait circuler une version beaucoup plus positive de son existence, mettant en exergue son séjour dans un couvent durant l'enfance, son amour sincère pour le monarque, son dévouement filial, maternel et fraternel. Après sa disparition, de discrets thuriféraires ont continué à embellir sa mémoire, désamorçant par avance les pires critiques. Nombre d'écrits gênants ou susceptibles de jeter une ombre sur son souvenir ont en outre été détruits, raison probable pour laquelle son immense correspondance a laissé si peu de traces. D'autres ont été expurgés, réécrits ou maquillés par de nombreux et discrets fidèles, parmi lesquels figurent son homme de confiance, Charles-Jacques Collin, plusieurs notaires parisiens et divers secrétaires. Peu après sa mort, ils ont notamment produit pour la postérité les comptes savamment balancés de ce qu'elle aurait coûté au prince, où le chapitre des dépenses fait habilement état de sa bonté en énumérant de nombreux dons et rentes octroyés par elle à des pauvres ou à des serviteurs. Plus tard, en 1824, ont été publiés par Quentin Craufurd les prétendus Mémoires de madame du Hausset, sa femme de chambre, décédée en 1801. Apocryphes, vraisemblablement rédigés par Gabriel Sénac de Meilhan, subtilement apologétiques, ils constituent une manne dans laquelle puisent religieusement les auteurs soucieux de lui accorder un peu plus d'indulgence, en rapportant, entre autres, les supposées confidences de la marquise relatives à sa «froideur» sexuelle. On peut goûter la douce ironie de l'allégation, destinée à expliquer aux bons esprits pourquoi le souverain avait déserté sa couche dès 1750 et à renforcer l'image de l'amour sincère qu'elle lui portait. Le dernier trait était d'ailleurs parfaitement exact, car elle voua constamment à Louis XV une grande tendresse admirative.



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EAN
9782213666655
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