La vieille qui voulait tuer le bon dieu

Monfils Nadine

BELFOND

Ce jour-là, le soleil avait dénoué son écharpe et inondait Pandore de ses rayons dorés. L'après-midi touchait à sa fin et il faisait une chaleur à cuire un oeuf sur le dos d'un pitbull. Ginette Plouf (elle avait tenu à conserver son nom de jeune fille) s'arrêta pour souffler et déposer son sac rempli de canettes de bière. Tous les vendredis, après son boulot, elle se coltinait les boissons pour le week-end, et ce, pour la simple raison que l'unique troquet de son quartier affichait CLOSED du samedi au lundi matin. Depuis que Roger, le patron, avait eu un Japonais égaré dans son boui-boui, il se la pétait English et avait appris deux mots en dehors de «closed»: «Hello!» et «Tank you very mouche», comme il disait, persuadé d'avoir l'accent.
Ginette était femme de ménage dans une entreprise de pompes funèbres. Elle se présentait à qui voulait l'entendre comme «technicienne de surface», ce qui à ses yeux était plus gratifiant et imposait le respect. À Pandore, ville qui ne se trouve sur aucune carte et qui pourtant existe bel et bien, tout est un peu bizarre... L'entreprise de pompes funèbres employait pas mal de monde et fonctionnait selon une méthode piquée aux Américains et légèrement améliorée. Les morts étaient traités en stars. On les asseyait dans des fauteuils de Premier ministre, face à un miroir orné d'ampoules, et une maquilleuse leur faisait tout le tralala, du make-up au rouge à lèvres flashy assorti de faux cils pour les dames. Puis ils étaient confiés à la coiffeuse, qui leur enroulait des bigoudis, les gratifiait d'un brushing monté en choucroute à la Amy Winehouse ou, selon l'état de la toiture, se rabattait sur une perruque pour les femmes et une moumoute pour les hommes. On passait ensuite à l'habillage, en suivant les volontés du défunt. Il n'était pas rare de voir la vieille tante en minijupe ou le pépé en bermuda. Chacun avait droit à son dernier fantasme. Le point final consistait à photographier le macchabée en compagnie de sa vedette préférée, montage effectué grâce à Photoshop, merci la technologie.
Tel était le quotidien de Ginette. Pour le reste, elle vivait depuis dix ans avec Marcel, qu'elle avait épousé pour ses bacchantes et sa bagnole de m'as-tu-vu, un cabriolet jaune canari dont il s'était débarrassé aussitôt après leur mariage, prétextant que c'était «trop voyant». Du coup, il s'était aussi rasé la moustache, au grand désespoir de son épouse, auprès de qui il invoqua la même raison que pour le cabriolet.

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EAN
9782714454515
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