Plein présent

Michel Natacha

VERDIER

LA MONTAGNE MAGIQUELe lieu? Ici-bas. Cité Robert-Houdin, enclos de pavillons. Le temps? Un février doux, trompant les fleurs et les plantes, au point du jour. Le personnage principal? Marianne, Mélaine, Josèphe, oui, c'est un nom de fille, Colombe et Véronique. Décor et accessoires? Vous verrez bien. Les trois coups que frappe l'annonceur avant le lever du rideau, seulement «Ohé ohé».Car, matin et soir, c'était «Ohé ohé».L'ohé matinal est celui du fakir. Il fait surgir une corde qui tient toute seule en l'air. Celle que vous venez voir loge, en plein Paris, au grenier d'une maison en ruine, y a-t-il façon de grimper plus vite vers elle? Le cri monte droit, conduit par une glycine centenaire. A travers l'oeil-de-boeuf du toit passent un bras, une épaule. Et le flot d'une chevelure blonde roule sur les ardoises en pente. «Vraiment, c'est l'heure? - Est-ce que tu viens aujourd'hui?» Pour Marianne, l'école c'est: autorité et transgression, loi féroce et angoisse, pour Josèphe paradis, pour Colombe le gagner, pour Mélaine indifférence.Mélaine, prise jusqu'au cou dans un corset en plâtre, dormant sur une planche, les mains sur le drap, la tête sous l'oeil-de-boeuf, s'éveille. Cette sorte de pyjama prothèse qu'un début de tuberculose osseuse, une scoliose grave est le nom officiel, lui impose, elle s'y glisse quand personne n'est en vue. Mélaine, lièvre le jour, tortue la nuit? Et chaque matin, Marianne, huit heures un quart, «Ohé ohé», vient réclamer qu'elle se lève - sinon c'est «Excusez-moi, madame, j'étais un peu souffrante», et Mélaine tend un mot qu'elle a elle-même écrit et signé, avec ce culot imperturbable qui laisse la professeur indécise.Marianne qui vient de l'autre quartier, qui vient des grands immeubles, pousse la porte jamais verrouillée de la maison. Une maison, imaginez, même si celle-ci, toute décrépite, marche victorieusement parmi les pavillons splendides comme un soldat de l'an II sans chaussures au milieu d'une haie de laquais chamarrés. Marianne pousse la porte, écoute le grondement timide de la gouttière, lance un regard à la véranda qui ceint le devant de la maison. Elle connaît bien cette véranda, aussi ventrue qu'une baleinière, son sol de plomb que les pluies ont plissé. Se bat avec une branche de la glycine mal attachée, barrant le perron, reçoit une pluie de pétales mouillés, monte très vite l'escalier en colimaçon, un, deux, trois étages jusqu'à Mélaine en pyjama blanc. «Salut. - Salut.» Salut au matin, un chien aboie, c'est le chien des voisins, mais: «Tu-me-prêtes-ton-caban-je-te-l'échange-contre-ma-veste-de-cuir. - Et-que-diras-ta-mère?»Marianne jette un regard foudroyant à Mélaine. Le caban de Mélaine porte à la place du coeur un numéro de stock. Est-ce ainsi que les jeunes filles entrent dans la vie? vêtues d'un vrai caban de marin, obtenu à coup sûr d'un surplus de l'armée? Devant les rangs, les portes de la classe sont encore closes et les filles alignées comme-des-poules-sur-un-mur-picotant-du-pain-dur, une nouvelle apparaît: Mélaine. En visite. Sans cette humilité, cette égalité, cette impertinence, par laquelle se déclare, tour à tour, l'élève modèle, l'élève confiante, l'élève supérieure. Non. C'est quelqu'un, elles s'en aperçoivent sur-le-champ, à qui l'école est indifférente. Madame Hersant, histoire, qui converse de dos avec madame Planète, français, se sont ensemble retournées vers celle qui ose non seulement arriver en cours d'année, en cours de trimestre, en cours de journée, mais pire, à dix heures du matin.

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EAN
9782864327103
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