L'expatriée

Marpeau Elsa

GALLIMARD

L'Arabe blond

1er juillet. Les Français de la résidence se réunissent à la piscine pour accueillir un nouvel expatrié. En attendant sa venue, on ouvre le Champagne. Le bruit des bouchons fait s'envoler les oiseaux. Les délicieux oiseaux jaunes, qui volent par deux au-dessus de nous. Je me replace à côté de Max pour profiter de l'ombre qu'il projette sur un coin d'eau. Il mesure presque deux mètres et pèse plus de cent kilos. J'ai l'impression d'être dissimulée sous les branches d'un hêtre. En remplissant mon verre, il fait un faux mouvement. Du Champagne coule le long de ma hanche et se dilue dans le grand bassin. Max effectue un mouvement latéral. Plus loin, trois femmes pataugent dans le petit bain, allongées de tout leur long au milieu des gamins.
Le soleil me brûle. J'avance de deux pas pour me trouver à nouveau dans l'ombre de Max. La piscine de Sommerville Parle est bordée de palmiers gigantesques, de frangipaniers, d'arbres à pluie au tronc colonisé par les fougères. Mais rien n'abrite du soleil au zénith. Notre rue est composée de blocs de quatre étages, comprenant deux duplex, comme le nôtre. Le toit des habitations est en tuiles, les façades rose pâle. Des bambous poussent sur les terrasses. Au-delà des terrasses, côté route, les alignements de places de parking. Des voitures rutilantes, Bentley, Ferrari, Hyundai, Toyota, Lexus. Dans le mètre séparant le mur de la voiture: des tables et des chaises d'enfant, où les maids dînent le soir et où les gosses dont elles s'occupent peuvent s'amuser le reste de la journée.
Ici, tout le monde est de passage. En partance ou en provenance d'un autre pays. Le rythme soutenu des départs exige de la souplesse de caractère. Les fréquentations sont provisoires, personne ne se risque à une dépense superflue de sentiments. On économise les élans du coeur. On prise l'inconstance des attachements. On forme des alliances réversibles. Si l'ennui engendre une malveillance de circonstance, la chaleur vient rapidement à bout des volontés. Elle fait régner en maîtres l'indécision et la frivolité.
Ainsi suis-je devenue. Parmi ces pantins qui peuplent désormais ma vie, Salma est la seule qui existe vraiment. Elle vient d'arriver, avec plusieurs heures de retard. Elle a pris la nouvelle ligne de métro. Deux stations. Elle habite à Buona Vista, dans une des tours de One North Residences.
Maintenant, elle reste là, sans bouger, assise de l'autre côté du bassin. Enchaînant cigarette sur cigarette - ses éternelles Marlboro rouges qui lui donnent cette voix cassée, si belle et grave. Elle se fout de l'interdiction de fumer qui s'étale en grosses lettres près des grilles. Elle se fout d'à peu près tout. Elle se tient là. Immobile et comblée.

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EAN
9782070139644
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