Un refrain sur les murs

Magellan Murielle

POCKET

ISABELLE, 1987

Que ce quai est long! Et ce train qui n'en finit pas... Les valises, la petite main de Romane dans la mienne, la course rapide d'Adrien quelques pas devant moi, l'oeil vigilant sur chacun de leurs écarts, la lassitude, l'appréhension de les laisser partir en voyage accompagné, certes ils adorent, certes le soleil tape, certes leur père les attend avec une montagne de douceurs qui amadouent, pour faire passer la pilule belle-mère, nouvelle compagne-à-papa, mais cela ne m'empêche pas de m'inquiéter, inquiétude archaïque, comme un enduit dans mes parois intérieures. Un petit sac-goûter pour chacun, un livre de coloriage, un baladeur (ou je ne sais comment on appelle ces machines qu'on ne trouve pas à moins de trois cents francs), alors je préfère dire: «Tu as pris ton truc, là, et tes cassettes?» Adrien a tout pris, Romane aussi, tous deux me regardent avec leurs yeux penchés, un peu jouissants, «tu n'es pas trop triste?», mais je vois bien la leur aussi, de tristesse, finalement on se ressemble dans notre sentiment mélangé de joie et d'abattement. Il y a un tel soulagement à détisser ce lien, à lâcher nos nombrils et nos coeurs et nos corps fusionnants, un tel soulagement surtout, en termes de fatigue, porter, faire les devoirs, écouter les crises, les pleurs, les peines, les questions «pourquoi, pourquoi, pourquoi...». Ouf, nous disent nos bras, et nos jambes, et nos os, ouf, séparez-vous un peu, qu'on respire.
Moi, je vais dès aujourd'hui me réfugier chez ma mère pour que ce mois de vacances passe le plus vite possible, m'occuper d'elle, de sa santé de plus en plus fragile, pendant trois semaines je me sentirai indispensable, et les huit jours restants fileront, je préparerai la rentrée, la mienne, puisque je suis la plus anxieuse des femmes (je donne toujours les mêmes cours, ou presque, depuis dix ans, et je suis pourtant chaque année terrorisée, livide, à l'idée de me retrouver face à des sixièmes, cinquièmes désinhibés et féroces, pour qui la «physique» est un mot barbare, difficile à orthographier donc à concevoir, et que je tiens à grands coups de froideur et de devoirs assommants, et avant chaque rentrée je réapprends mes leçons comme si j'étais élève moi-même, scolaire, consciencieuse, amnésique)...
Grâce à ce petit programme bien huilé, tout ira vite, j'en serai débarrassée de ce mois d'août, un petit coup de fil par jour aux enfants et le tour sera joué. Rien de bien grave n'aura été vécu. Tout sera dans l'ordre. Paisible. Comme avant.

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EAN
9782266224024
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