Le roman de la promotion Voltaire

Leprince Martin

JACOB DUVERNET

Extrait de l'introduction

«Vous voulez faire un livre sur la promotion Voltaire? Mais vous ne pensez pas que les gens en ont marre d'entendre parler de cette promo?»
Un voltairien

Entre janvier 1978 et mai 1980, vingt-neuf mois se sont écoulés. Vingt-neuf mois durant lesquels la France était soi-disant gouvernée au centre et la planète réellement divisée en deux blocs. Vingt-neuf mois durant lesquels le monde assista à la Révolution iranienne, aux accords de Camp David, à l'assassinat d'Aldo Moro et à l'avènement de Margaret Thatcher. En France, Jacques Mesrine était l'ennemi public N°1, Marguerite Yourcenar inaugurait les toilettes femmes de l'Académie française, la sidérurgie entrait en crise et Mac Donald ouvrait sa première enseigne. Les Français roulaient en Renault 4, Renault 5, Renault 6 ou en 2 CV et rêvaient de CX GTI Turbo ou de Simca Matra Bagheera. Les premiers walkman faisaient leur apparition, les vidéos se visionnaient en format Bétamax et seuls les appareils photos dernier cri étaient dotés d'un autofocus. C'était une époque où les pantalons pattes d'éléphants n'étaient pas tout à fait passés de mode et les teintes fluos pas encore en vogue. Les conformistes dansaient sur les Village people, les vrais branchés écoutaient de la New Wave et les gamins chantaient «la danse des canards». En ces temps-là, Björn Borg semblait invincible, Bernard Hinault gagnait le Tour et les Verts de Saint-Étienne n'étaient bientôt plus «les meilleurs». Au cinéma, on allait voir Manhattan, Les bronzés font du ski, Le tambour et Une histoire simple. On lisait Les Cerf-volants de Romain Gary, La distinction, critique sociale du jugement de Bourdieu, Le choix de Sophie de William Styron, Astérix chez les Belges et Martine fait de la voile.
Ces vingt-neuf mois ont également été ceux durant lesquels 160 jeunes gens ont mené une scolarité laborieuse au sein de la prestigieuse École nationale d'administration. De cette promotion, qui s'est baptisée Voltaire sur un malentendu, est resté un cliché. Une photo célèbre, ressortie à chaque article de presse. Les sourires sont au mieux discrets, les lunettes sont épaisses, les cravates de rigueur. Certains regards semblent refléter un excès de suffisance, d'autres l'ennui de poser. On croit deviner une meute de cerveaux encombrés; des esprits tout entiers voués à leur ambition, pour qui l'amusement reste assimilé à une perte de temps. Pourtant les deux jeunes gens sur lesquels on s'arrête de prime abord offrent une mine réjouie. Lui se prénomme François, est devenu président de la République le 6 mai dernier. Elle s'appelle Ségolène, a tenté d'accéder à la même fonction suprême cinq ans auparavant. Sans eux, la promotion Voltaire ne serait qu'une parmi d'autres. Au dernier rang, le visage en partie caché, un jeune homme du nom de Dominique deviendra Premier ministre et rêvera d'un destin présidentiel. Sur sa gauche, la jeune Frédérique accédera au poste de ministre. Plus bas sur la droite, on reconnaît Renaud, qui siégera dans d'autres gouvernements; et le crâne chauve de Michel, également futur ministre. Parmi les autres on peut encore identifier deux futurs secrétaires d'État, deux futurs députés, un futur secrétaire général de l'Élysée et sa directrice de cabinet, une future sage du Conseil constitutionnel, des pontes du secteur privé, des maires, des responsables d'entreprises et d'institutions publiques. Ceux que l'on ne reconnaît pas sont devenus préfets, diplomates, cadres dirigeants et hauts-fonctionnaires de toutes obédiences.

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EAN
9782847244441
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