Les Juifs viennois à la Belle Epoque

Le Rider Jacques

ALBIN MICHEL

Extrait de l'introduction

Si Vienne, à l'époque de Sigmund Freud et d'Arthur Schnitzler, devient une capitale de la modernité, c'est aussi parce qu'elle est la métropole de l'Europe centrale danubienne et que les mutations démographiques du dernier quart du XIXe siècle l'ont transformée en une «Jérusalem de l'exil». À l'époque de l'empire libéral, dont le Compromis austro-hongrois de 1867 marque le début, un «paysage culturel judéo-viennois» se dessine, à la fois proche et sensiblement différent du modèle judéo-allemand et de celui d'autres grandes villes de la monarchie habsbourgeoise, de la concurrente de Vienne, Budapest, aux reproductions de Vienne en miniature que sont Lemberg/Lwów/Lviv en Galicie et Czernowitz/Cernauti/Tchernivtsi en Bucovine. Nous retracerons l'histoire sociale et culturelle de ce modèle judéo-viennois, de 1867 à 1914: bouleversé au cours des années que dura la Première Guerre mondiale, il se recompose dans les années 1920. Son anéantissement s'annonce à partir de 1933 et se déroule inexorablement à partir de l'Anschluss (annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie) de mars 1938.
Nous insisterons sur la pluralité interne de la population juive viennoise. L'assimilation à la culture allemande, dans sa variante autrichienne, est le modèle dominant. L'afflux des immigrés juifs de l'Est (Ostjuden), à partir des années 1880, provoque à l'intérieur du groupe juif viennois un véritable choc des cultures: les Juifs viennois de vieille souche, assimilés et parfaitement intégrés, découvrent une autre identité culturelle juive qui leur semble étrangère, pour ne pas dire exotique. Au même moment, dans les années 1880 et 1890, l'antisémitisme se propage dans tous les milieux de la société viennoise et devient un véritable code culturel. L'installation de Karl Lueger à la mairie de Vienne en 1897 fait de la capitale de l'Autriche-Hongrie la seule grande ville européenne gouvernée par un parti antisémite. Ce nouvel antisémitisme de masse ébranle les certitudes de beaucoup de Juifs viennois assimilés et déclenche des processus de «crise de l'identité» dont nous analyserons quelques exemples.
Mais chez Zweig, dans le premier chapitre du Monde d'hier, il est question du «génie de Vienne» qui a toujours consisté, écrit-il, à «harmoniser tous les contrastes ethniques et linguistiques» et à permettre «une synthèse de toutes les cultures occidentales».
Le rabbin Joseph Samuel Bloch s'engage dans les luttes sociales et dans le combat contre l'antisémitisme: il invente une formule nouvelle lorsqu'il exhorte ses concitoyens juifs à s'affirmer en tant qu'«Autrichiens de nationalité juive». Les fondateurs du mouvement sioniste, Nathan Birnbaum et Theodor Herzl, opposent au modèle judéo-viennois en crise celui de la «désassimilation» et du retour à la tradition culturelle juive, chez Birnbaum, ou, chez Herzl, de l'édification d'un État-nation juif dans le «pays ancien - pays nouveau». Une autre voie souvent choisie par les Juifs viennois de la génération de Victor Adler (né en 1852) et d'Otto Bauer (né en 1881) est celle de l'engagement socialiste.

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EAN
9782226242099
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