L'Everest à la folie

Lamoureux Nathalie

GUERIN







Extrait



I - À quoi bon continuer ?

Népal. Entre le camp III (7 200 mètres) et le camp IV (7 925 mètres). 21 mai 2013.
La nuit avait été aussi blanche que les neiges éternelles. Le froid avait chuté comme un glaçon dans un verre de pastis. Pour limiter le poids, nous n'avions qu'un sac de couchage pour deux. La tentation était grande d'aller chiper un duvet et un tapis de sol dans la tente voisine. Son occupant était absent depuis deux jours. Peut-être avait-il réalisé son rêve. Ou rejoint la terre des morts. Ce genre d'intrusion ne risquait pas de nous arriver. Nos tentes étaient scellées par de petites serrures, semblables aux cadenas d'amour du pont des Arts. Seule différence : un autocollant figurant les yeux remplaçait les formules gravées au marqueur indélébile, aussi profondes que Renaldo and Francesca love for ever. Pasang avait la manie des verrous. Il en posait sur les tentes, les sacs d'expédition, les sacs à dos, les pochettes... De toutes les tailles, de toutes les formes.
- Que veux-tu que l'on nous vole ? De la tsampa ?
Des soupes de nouilles ? m'amusais-je.
- If someone take oxygene ? Finished Everest !
Pasang m'avait raconté que, en 2006, des expéditions avaient dû faire demi-tour car l'oxygène, déposé au col Sud (le camp IV), avait été volé. Plusieurs milliers de bouteilles sont stockées sur cette base de départ pour le sommet. Aucun gendarme ne veille sur le bar, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Chaque grimpeur reçoit en moyenne cinq bouteilles, de quoi tenir quarante heures. Alors, quand les plus pressés attendent ici la fenêtre météo pendant plusieurs jours, ils viennent profiter d'une cure respiratoire à l'oeil. Les téméraires, dans de sales draps, montés en style alpin, c'est-à-dire sans oxygène artificiel et sans Sherpa, font de même.
Cette nuit-là, le doute, la peur et le remords me revenaient par vagues d'angoisse. Autant le dire, ils ne me lâchaient pas depuis plusieurs mois. Peur de mourir. Malaise d'avoir laissé des proches. Dans ces moments confus, Pasang me rassurait. Je lui posais toujours les mêmes questions et lui me donnait toujours les mêmes réponses.
- Tu crois qu'on va réussir ?
- We will see.
- Comment ça, on verra ?
- If good weather.
- Tu crois que j'en suis capable ?
- We go slowly slowly. But, eat more for good energy.
- Et le ressaut Hillary ? C'est dur ?
- No problem.

Ma vie était entre ses mains. Pasang connaissait mon niveau, ma motivation, mes capacités, mais pas encore tous mes travers. La veille, dans l'air froid du petit matin, nous étions montés avec aisance jusqu'au camp III sous un ciel bleu éblouissant. Des files larvées s'étiraient vers le sommet. Les quatre jours passés à 6 400 mètres m'avaient requinquée. Il ne s'était rien passé de remarquable, à part une opération d'hélitreuillage. Un hélicoptère avait tourné en vrombissant au-dessus de nos têtes. Un blessé attendait d'être secouru. Au-delà de 7 000 mètres, les turbines ne développent pas assez de puissance dans l'air appauvri pour que la machine puisse se poser. L'engin avait tenté plusieurs approches avant de réussir à hélitreuiller (...)



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EAN
9782352210924
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