Guillaume et Nathalie

Lahens Yanick

SABINE WESPIESE

Un couple franchit le portail d'un immeuble à Pacot, sur ces hauteurs d'où l'on voit Port-au-Prince dans les feux du crépuscule. Les couleurs du couchant tiennent la ville dans un scintillement qui en masque les soubresauts, le tumulte, la miraculeuse et ardente traversée des siècles. C'est l'heure où on assiste à la montée du silence qui tamise le grand charivari des journées tournées et retournées. Un silence comme un voile suspendu entre ciel et terre. Un silence de chambre close pour abriter les soliloques affolés de la chair. Émois, palpitations, fébrilité. Lui, Guillaume, n'a pas particulièrement soigné sa tenue. Il n'a jamais considéré ces attentions de surface comme une nécessité. Et, à l'aube de la cinquantaine, il ne changera pas. Il n'en a plus besoin. Il a déjà fait ses preuves. Dans sa profession et auprès des femmes. La silhouette de Nathalie avoue une trentaine et trois ou quatre années. Pas davantage. Une trentaine épanouie. Ses chaussures de marche à lacets, son jean et son tee-shirt laissent penser qu'elle est une femme de terrain. Guillaume porte une bonne quinzaine d'années de plus qu'elle. Autant dire qu'il a dépassé la première moitié de la vie, alors qu'elle, Nathalie, est de plain-pied dans son épanouissement. Quelque chose, dans leur façon d'avancer vers la porte d'entrée de l'immeuble, indique que, s'ils ne sont pas encore des amants, ils sont sur le point de le devenir. L'imminence d'un tel événement semble inéluctable. A mesure qu'ils s'engagent dans l'allée, l'espace qui les sépare se réduit. Ils finissent par s'effleurer. À hauteur des épaules. Par moments, leurs bras se touchent. À peine. Leurs avant-bras aussi. Ces gestes, Guillaume les fait sciemment. Et Nathalie ne se dérobe pas. Elle ressent un immense plaisir à ces frôlements de rien du tout. À cette convoitise muette. Chaude. Guillaume, bien entendu, le sait et s'en délecte. À quelques mètres de l'entrée, il s'éloigne légèrement d'elle et l'épie. Nathalie et Guillaume sont pour l'instant dans la douceur, l'enchantement, le balbutiement des commencements. Et rien n'enchante davantage que ces balbutiements, ces commencements. Rien. Ces images sont, entre toutes, celles qu'ils retiendront. Après. Longtemps après. Lorsque tout aura été joué. Quand elle précède Guillaume et s'arrête devant la porte d'entrée de l'immeuble, Nathalie évite de regarder la silhouette que lui renvoie la grande baie vitrée, de peur de surprendre ses traits défaits par l'angoisse. Elle ferme les yeux. Juste un moment. L'angoisse pourrait la précipiter dans cette grande terre sauvage, abandonnée, tout au fond, tout à l'intérieur, et qu'elle redoute encore. Alors, elle respire profondément.

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EAN
9782848051437
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