Les expressions les plus truculentes de la langue française

Lacotte Daniel

LAROUSSE







Extrait



Les tisons du langage

Les expressions populaires agrémentent notre langage quotidien d'une incontestable saveur réjouissante, car elles se forgent toujours sur un étrange assemblage de mots inattendus, curieux, voire mystérieux. Par surcroît, ces tournures sont parfois agencées dans une syntaxe inhabituelle qui complique bougrement leur compréhension immédiate dans la mesure où chaque terme utilisé n'a pas sa valeur usuelle (courante, «normale»). En effet, le sens des mots que véhicule une formule familière semble souvent s'envoler, s'éclipser. Comme aspiré par une éphémère volonté poétique qui puise ses ressorts dans la vivacité de l'échange. Celle qui ne laisse aucune place à la phraséologie empesée.

Ces idiomes pittoresques, bigarrés, gouleyants et imagés - fervents tisons inextinguibles de notre langage - viennent enflammer nos récits et nos conversations. Mais ils font trépigner de rage les étrangers qui veulent apprendre à parler la langue française. Car connaître le sens premier des mots araignée et plafond (et savoir en donner une définition correcte) ne suffit absolument pas pour percer le mystère et la subtilité de la locution avoir une araignée au plafond. Même en effectuant une traduction mot à mot (dite «littérale») dans la langue de Shakespeare, un Anglais ne comprendra rigoureusement rien. D'autant que la même image se retrouve dans sa propre langue : to have bats in the belfry (avoir des chauves-souris dans le clocher).Autrement dit, de tels idiomes ne peuvent se traduire dans une autre langue. Il faut impérativement les transposer, ce qui prouve leur valeur intrinsèque exceptionnelle.

Ce modeste préambule montre l'extrême jubilation que les amoureux du langage peuvent éprouver à utiliser toutes ces tournures charroyées sur le tortueux chemin du temps sémantique et le plus souvent élaborées par l'apport du langage familier, populaire ou argotique. Sans oublier que ce façonnage permanent des multiples «niveaux de langage» enfante dès lors autant de trésors aux facettes insoupçonnées. En conséquence, l'étymologie, l'histoire et la définition de chaque mot prennent bien sûr une importance fondamentale pour comprendre la facétie, la crainte ou l'émotion que dissimule une formule truculente. Mais, en réalité, la puissance lexicologique et lyrique d'une banale expression relève surtout de la profonde ambiguïté intentionnellement voulue au moment même de sa naissance.

Raconter le monde autrement

Dans notre vie de tous les jours, pour se faire immédiatement et facilement comprendre, il convient d'appliquer le mot juste dans un contexte précis. A l'inverse, la locution familière explore sans le savoir les mille nuances de la communication pour servir la meilleure façon de susurrer un cri contenu. Car une formule plaisante s'appuie sur des termes délibérément décalés et accolés dans un ordre troublant. Ainsi, toutes les expressions populaires qui se promènent distraitement dans nos esprits s'appliquent à exprimer les choses différemment. Elles racontent le monde autrement, avec gourmandise. Puis elles deviennent indispensables pour charpenter un discours, qu'il soit familier ou élitiste. Et chacun sait qu'elles contiennent moult subtilités, émotions et symbolismes qui engendrent tout propos jubilatoire.

Qu'on les appelle expressions, formules, tournures, syntagmes figés ou locutions (n'entrons pas dans le débat stérile qui veut les opposer), elles expriment en définitive une manière de contourner l'évidence, mais sans jamais vouloir estourbir l'auditeur (ou le lecteur). Car elles cherchent avant tout à promouvoir le mot, cet humble fantassin qui ne songe qu'à réveiller les images qu'il tient ankylosées au plus profond de lui-même. Et quand le vocable devient verbe, c'est-à-dire éloquence, il ne vise plus qu'un seul objectif : transfigurer le silence de l'écrit.

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Daniel Lacotte



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9782035901156
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