Le fil des souvenirs

Hislop Victoria - Delarbre Alice

LGF







Extrait



Mai 1917

Derrière le pâle voile de brume, la mer scintillait. Sur terre, la ville la plus animée et cosmopolite de Grèce vaquait à ses occupations. Thessalonique offrait une variété culturelle éblouissante. La population se composait en parts presque égales de chrétiens, de musulmans et de juifs, qui coexistaient et se complétaient tels les fils tissés d'un tapis oriental. Cinq ans plus tôt, Thessalonique avait quitté le giron de l'Empire ottoman pour entrer dans celui de la Grèce, ce qui ne l'empêchait pas de rester le royaume de la diversité et de la tolérance.
Les couleurs contrastées de ce mélange ethnique, riche et savoureux, se reflétaient dans la diversité du défilé vestimentaire : il y avait des hommes en fez, en panama, en feutre ou en turban. Les juives portaient des vestes traditionnelles doublées de fourrures ; les musulmans, de longues tuniques. De riches Grecques en tailleurs sur mesure inspirés par la mode parisienne offraient un contraste saisissant avec les paysannes aux tabliers et fichus ornés de somptueuses broderies, venues de la campagne environnante pour vendre leur production. La ville haute était majoritairement occupée par les musulmans, le bord de mer, par les juifs, tandis que les chrétiens occupaient les faubourgs. Toutefois, il n'y avait aucune ségrégation, et les trois cultures se mêlaient dans tous les quartiers.
Accrochée aux pentes s'élevant depuis le gigantesque arc que dessinait la côte, Thessalonique ressemblait à un immense amphithéâtre. Tout en haut, à l'endroit le plus éloigné de la mer, une muraille marquait la limite de la ville. Depuis ce point de vue, les édifices religieux dominaient le reste : des dizaines de minarets se dressaient vers le ciel comme autant d'épingles sur une pelote, les dômes en tuiles rouges des églises et les bâtiments clairs des synagogues ponctuaient le paysage urbain qui dévalait vers le golfe. À cette présence florissante des trois religions s'ajoutaient des vestiges de l'Empire romain : arcs de triomphe, portions d'anciens murs et quelques esplanades où des piliers montaient la garde.
Dans un souci de modernisation, la ville s'était, au cours des dernières décennies, percée de larges avenues, lesquelles se distinguaient du vieux réseau de ruelles sinueuses qui, à l'instar des serpents sur la tête de Méduse, s'élevaient sur les pentes raides en direction des hauteurs de la cité. Si une poignée de grands magasins avaient fait leur apparition, l'essentiel du commerce se concentrait dans des boutiques pas plus grandes que des kiosques à journaux. Ces entreprises familiales, entassées par milliers dans les rues étroites, se disputaient la clientèle. De leur côté, les centaines de kafenion, ces établissements traditionnels, subissaient la concurrence des cafés de style européen qui servaient de la bière viennoise et des clubs où l'on se réunissait pour discuter littérature ou philosophie.
Thessalonique se caractérisait par sa densité. Le nombre d'habitants, leur concentration dans un espace circonscrit d'un côté par les murs de la ville et de l'autre par la mer en faisaient un creuset de parfums puissants, de couleurs éclatantes et de bruits continus. Les cris des vendeurs de glace, de lait, de fruit ou de yaourt, caractérisés chacun par leur tonalité propre, formaient néanmoins un ensemble harmonieux.
--Ce texte fait référence à l'édition






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9782253178101
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