Au bout du chemin

Hespel Patricia

POCKET







Extrait



Bras levés, Ève se tourne vers le miroir.
Suspend son geste. Le temps de compter jusqu'à deux.
Le chuintement des ciseaux contre sa nuque la fait frissonner tandis que le tulle s'affaisse à ses pieds en un petit tas mou, insignifiant. Elle se tord le cou pour contempler le résultat de son travail. Du voile, ne subsistent que quelques picots blancs enchevêtrés dans la masse de ses cheveux châtains.
Ses doigts palpent l'arrière de son crâne et y rencontrent une masse cartonneuse, hérissée d'épingles et de perles. Doit-elle prendre le risque de s'attaquer à ce montage dont le poids lui scie déjà les tempes ? Il a fallu au maestro plus d'une heure de travail pour le mettre en place. Il lui en faudra au moins autant pour retrouver son allure habituelle. Trop long, trop risqué.
Dans leur maison de l'avenue Léopold Ier, ses parents doivent l'attendre, s'inquiéter de ne pas la voir revenir. Ève jette un regard en biais vers son téléphone portable. Elle préfère ignorer le nombre d'appels qui s'y afficheraient si elle le rallumait. Trop, sûrement, pour qu'elle ait le cran de les ignorer.
Dans sa chambre, l'attend une robe qu'elle ne portera pas et quelques accessoires, promis à l'oubli dans un coin de grenier. Elle n'est pourtant pas loin, l'excitation des premiers essayages chez la couturière, celle des dégustations chez le traiteur ou des heures fiévreuses passées à ergoter sur la couleur des nappes. Des moments rutiles comme des bulles de Champagne, qu'elle-même a vécus avec légèreté au contraire de sa mère qui tenait à ce qu'aucune fausse note ne vienne ternir le grand jour. Des instants de complicité aussi, comme cette fois où elles avaient écume les boutiques de lingerie et essayé toutes sortes d'ensembles, romantiques, audacieux ou franchement coquins. Un après-midi où leur dissemblance lui avait soudain sauté aux yeux.
À cinquante-neuf ans, Elena faisait encore partie de ces femmes que les hommes suivent du regard. Les heures passées à la salle de fitness lui avaient sculpté une silhouette longiligne sur laquelle guêpières et soutiens-gorge pigeonnants semblaient trouver leur raison d'être. Dans le miroir de la cabine attenante, Ève s'était détaillée sans complaisance : plus menue, plus potelée aussi, un visage qu'on aurait pu qualifier d'intéressant à défaut de régulier et, surtout, ce regard atypique qui déroutait parfois les autres ; un regard qu'elle avait longtemps détesté, au point de porter des lentilles colorées, jusqu'à ce qu'Antoine lui assure qu'il faisait partie de son charme.
--Ce texte fait référence à l'édition






Broché
.



8,30 €
En rupture de stock
EAN
9782266247566
Image non contractuelle