Histoires du peuple juif

Halter Marek

ARTHAUD







Extrait

Introduction de Marek Halter Pour mes quatre ans, mon grand-père Abraham m'apporta en cadeau, emballés dans un vieux journal yiddish, deux livres illustrés pour enfants : Les Contes bibliques et un abrégé des Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas. Varsovie était sous occupation nazie. Nous étions privés d'électricité. Je lus les deux livres d'une traite à la lueur d'une bougie. Cette lecture nocturne marqua-t-elle mon destin ? Je ne sais. Ce dont je suis certain, c'est qu'elle me sauva la vie. Nous eûmes la chance, mes parents et moi, de pouvoir quitter Varsovie avant le début de la guerre germano-soviétique grâce à deux amis de mon père, deux catholiques polonais. Des Justes. Nous traversâmes l'est de la Pologne, occupé par l'Armée rouge, puis l'Ukraine. Enfin, nous atteignîmes Moscou. C'est là que ma mère mit au monde ma petite soeur. Mais nous voilà à nouveau sous les bombes. Les Allemands avançaient. Staline nous envoya à Novoouzensk, près de la Volga, puis à Kokand, dans le lointain Ouzbékistan où s'entassait déjà plus d'un million de réfugiés. La famine, la dysenterie et le typhus taillaient des vides dans cette imposante masse humaine. Dans la rue, des ombres squelettiques trébuchaient, poussaient un cri et tombaient. Déjeunes Ouzbeks qui patrouillaient dans la ville basse les ramassaient, entassaient leurs corps sur des arbas, des chariots à deux roues, et les abandonnaient dans des fosses communes creusées dans le désert. Mes parents, eux, se retrouvèrent à l'hôpital. Je restai seul avec ma petite soeur. Elle s'appelait Bérénice, Bousia. Nos voisins me conseillèrent de la mettre dans un home d'enfants, ce que je fis. Elle y est morte, de faim m'a-t-on dit. Un jour, le médecin de mes parents me convoqua : «Si tu veux les sauver, tu dois trouver du riz.» Les antibiotiques n'existaient pas dans l'Union soviétique de l'époque. Du riz, on en trouvait au marché noir. Comment un gamin pouvait-il s'en procurer ? En volant. Les Ouzbeks transportaient leurs récoltes de riz dans des sacs accrochés aux flancs de bourricots. Il suffisait de passer à côté avec un couteau, d'éventrer le sac, et de remplir sa casquette des grains qui s'échappaient par la fente. Il fallait alors s'enfuir pour échapper à leur colère. Sans doute n'étais-je pas assez rapide. Les Ouzbeks finissaient inévitablement par me rattraper. Un après-midi, tandis que deux hommes me tabassaient pour récupérer leur riz, une bande de voleurs, des vrais ceux-là, me libéra. «Que t'arrive-t-il ?» me demanda le plus âgé, un garçon d'une quinzaine d'années. Je lui expliquai. «Puisque tu ne sais pas voler, que sais-tu faire ? - Raconter des histoires.» Pourquoi lui parlai-je d'histoires ? Peut-être à cause de ces fameux Contes bibliques. Ce soir-là, dans le Kalvak, un terrain vague où les voyous qui terrorisaient la ville se retrouvaient pour partager leurs butins, je fis mes premiers pas de conteur. Je commençai par Les Trois Mousquetaires. Le sens de la solidarité des personnages, «tous pour un, un pour tous», dut les séduire. A la fin du récit, je m'aperçus que mes nouveaux amis demeuraient immobiles. J'ai donc continué avec Vingt Ans après et Le Vicomte de Bragelonne. Comme la bande ne bougeait toujours pas, semblant attendre la suite, j'inventai les aventures de d'Artagnan à Jérusalem. Au petit matin, j'étais devenu Marek-qui-raconte-des-histoires. Nous nous partageâmes les tâches. Ils volaient le jour et me donnaient ma part pour aider mes parents. Moi, je passais mes journées à la bibliothèque municipale et, le soir, partageais avec eux mes lectures. Pour la plupart, mes récits s'inspiraient des aventures du peuple juif, ou de ce que j'en savais. Mes camarades en demandaient toujours plus. À l'inverse de tant d'érudits, ils avaient saisi l'importance de la réflexion de Job : «Nous sommes nés d'hier et nous ne savons rien.» Moi, j'avais découvert que mon histoire pouvait aussi devenir celle des autres. Et comme le savoir ne vaut rien s'il n'est pas partagé, je poursuis depuis des années, d'un livre à l'autre, ce récit à rebondissements. Les Histoires du peuple juif, histoires quatre fois millénaires que je livre aujourd'hui, seraient-elles un aboutissement de ces récits que, tout jeune, je partageai à Kokand, à la frontière de l'Afghanistan ? Elles ont passionné des voleurs ouzbeks d'antan, je peux espérer qu'elles ne laisseront pas indifférents mes lecteurs présents.



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EAN
9782700303063
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