Le sens du calme

Haenel Yannick

FOLIO

La mort de Dieu

J'ai trouvé Jésus dans une poubelle. C'était en 1977, j'avais dix ans. Je courais le long des arbres, dans la lumière de juin, en répétant cette phrase: «J'ai trouvé Jésus dans une poubelle.»

C'est avec cette phrase que ma vie se déclenche: avant, je ne suis pas sûr d'avoir existé. J'ai des souvenirs, mais aucun n'arrive jusqu'ici. La première fois que le temps s'ouvre, c'est en 1977, avec la phrase: «J'ai trouvé Jésus dans une poubelle.»

Je suis en CM1, à Saint-Erme, une petite ville du côté de Laon. C'est un samedi de juin, sous un ciel d'été vaste et blanc. J'ai raté le car de ramassage scolaire, parce que l'institutrice nous a gardés plus longtemps pour nous montrer un film.

Je ne vais pas raconter ma vie. Je suis à la recherche de ces instants qui, précisément, ne se racontent pas, où le temps se met à glisser hors de lui-même - où l'on passe par le trou.

C'est là, dans les trous, que ça a lieu. C'est là que j'ai vraiment vécu: dix, treize, quinze fois en quarante ans. L'existence prend alors la forme d'une extase; elle tourne sur elle-même et vous illumine. Pour une heure, une journée, le temps d'un éclair, vous surgissez du cadre - votre vie se dégage. Vous n'avez plus d'attaches: ni père, ni mère, ni pays - aucune identité. Vous n'appartenez plus, c'est une joie. Écrire des livres consiste à faire parler ces instants de foudre.

C'est donc un samedi d'été, vers midi. Je reviens de l'école; je longe un pré couvert de coquelicots. Voici les premières maisons: elles sont rose, jaune, orange, en forme de cube: c'est une cité moderne. Plus loin, s'ouvre une forêt de hêtres et de chênes, où je vais souvent cueillir des mûres. Et là-bas, sur le trottoir, quelque chose brille: on dirait une croix - je ne vois pas bien, à cause de la lumière qui brûle les yeux.

8,30 €
Disponible sur commande
EAN
9782070448487
Image non contractuelle