Negra

Guerra Wendy

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Extrait



Comme du lait renversé sur le tapis, carte blanche oubliée sur le ventre noir de ma mère. Baiser de feu et jouissance métisse, berceuse en créole. Larmes noires dans la lune de mes yeux. Café arabica en grains, bien torréfié, à l'arôme profond et délateur. Flottant seule dans l'anis des souvenirs. A la dérive, voilà comment je me sens.
Je suis la trace sur ton mur. Canne à sucre plantée, cultivée, coupée, brûlée par des Noirs, engrangée par des Blancs. Sucre roux, mélasse, pain de sucre brut, miel de canne, sirop de canne chaud.
Aucun maquillage ne pourra changer mon masque africain.
Telle est ma peau, tel est mon parfum. Mon ombre et moi, mon sexe et moi, ma faute et moi, nous nous ressemblons.
Quand ai-je su que j'étais différente des autres ? Comment ai-je pris conscience du silence imposé par la différence ?
Des yeux clairs scrutant le fond de mes yeux noirs. Je ne cache rien, mais ils me soupçonnent ; ils présument et fouillent dans mon passé d'esclave fugitive. Peu de gens savent à quel point la liberté est précieuse, et comme il en coûte de la défendre chaque jour.
Ma couleur ravive l'ancienne histoire, qui n'en finit pas, n'est pas close et recommence une fois de plus le jour où naît une fillette comme moi, une personne qui n'a pas été préparée à ce que certains voient en elle.
Noire, cultivée, métisse, blanche, vulgaire, instruite, amnésique, ivre, insolente et lucide ; belle dans l'infinie différence.
Je ne suis ni au sud ni au nord. Je voyage au centre d'un tiers-monde instruit, un no man's land et un autre Occident.
Je déjoue les prévisions météorologiques, historiques ou religieuses.
Je suis celle que tous racontent et peu comprennent.
Je m'élance en chantant vers la lumière, jusqu'à tomber dans l'obscurité.

*

DU SUCRE POUR GRANDIR

«Chacun sa chacune.»
Okana Oddi

Le premier signe particulier, le premier que je porte tatoué sur les épaules, me vient du grand-père d'un ami. Il m'appelait Azuquita, disait que j'étais douce mais acide, foncée mais gentille, que sans moi les fêtes données par son petit-fils n'étaient pas pareilles. Le vieil homme collectionnait les slogans socialistes qui ont perdu leur sens depuis. Quand j'allais voir mon ami, tout juste âgé de onze ans, son grand-père me criait :
- Sucre, sucre pour grandir ! Ma petite Noire, tu es la joie des petits Blancs du quartier !
Je faisais comme tout le monde, je me contentais d'exister et d'être là.
Qu'est-ce que ce «sucre» ? Qu'évoque-t-il ? J'ai cherché dans les dictionnaires ; cela ne me semblait pas être une insulte, au contraire. Ce sucre, c'est Cuba.
(...à



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EAN
9782234077386
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