L'HOMME QUI PLANTAIT DES ARBRES CD

GIONO JEAN

GALLIMARD JEUNE

L'homme qui plantait des arbres

Cette courte et sobre nouvelle a, dans l'oeuvre de Giono, une histoire à part qui a été racontée par Aline Giono [...]. Le récit est né d'une commande faite durant le mois de février 1953 par The Reader's Digest pour sa série «The Most Unforgettable Character I've Met»: Le personnage le plus inoubliable que j'aie rencontré. [...]

Les textes publiés par The Reader's Digest dans cette série présentaient, de façon implicitement didactique, voir moralisatrice, des personnages exemplaires; cela se plaçait dans un contexte de société conservatrice (au moins en tant qu'institution) exaltant l'initiative privée. Amérique et moralisation... Giono n'a-t-il pas été amené tout naturellement, par l'association de ces deux idées, à songer à l'un des pères des états unis, Benjamin Franklin, et à sa phrase célèbre: «Celui qui a réussi à faire pousser deux brins d'herbe là où il n'y en avait qu'un, n'a pas vécu en vain»? Ce n'était qu'une maxime; Giono en fera une parabole. Il est ainsi ramené dans une voie qui autrefois a été la sienne, mais qu'il avait abandonnée depuis plus de dix ans, celle de l'incitation à l'action. Car son héros, le planteur d'arbres, est un modèle, et propose visiblement une leçon - une leçon sans paroles, car le vieux berger, contrairement à Toussaint dans Le Chant du monde, ou à Bobi dans Que ma joie demeure, est un silencieux. [... ] Le message d'Elzéard est, certes, qu'il faut planter des arbres, mais aussi qu'il vaut sans doute mieux agir seul.
Bien entendu, la leçon correspondait chez Giono à un goût profond: il aimait à planter des arbres. Il a évoqué cette passion directement en 1962 dans deux chroniques du Dauphiné libéré [...]. «J'avais six à sept ans et j'accompagnais mon père dans ses promenades. Il portait dans sa poche un petit sac qui contenait des glands. [...] A certains endroits des collines, sur quelques replats, devant une belle vue, dans des vallons, près des fontaines, le long d'un sentier, mon père faisait un trou avec sa canne et enterrait un gland, ou deux, ou trois, ou cinq, ou plus, disposés en bosquets, en carrés ou en quinconces. C'était une joie sans égale: joie de le faire, joie d'imaginer la suite que la nature allait donner. [...]»
Dans L'homme qui plantait des arbres Giono a naturellement amplifié la réalité. Non seulement il a agrandi la Haute-Provence mais il a multiplié les arbres plantés par son personnage. [... ] Mais peu importe: Giono n'a pas fait de lui un forestier, mais un poète et un démiurge [...].
L'histoire des publications du texte a aussi son intérêt. Le récit, envoyé peu après sa rédaction au Reader's Digest, fut d'abord accepté avec empressement. Je cite maintenant Aline Giono: «Quelques semaines passèrent, et un beau jour mon père descendit de son bureau, traversa la salle à manger où je travaillais et alla trouver ma mère dans la cuisine. Son visage reflétait la stupéfaction. Il venait de recevoir une deuxième lettre du Reader's Digest, d'un ton bien différent de la première: on y traitait mon père d'imposteur et, dans un mouvement de vertueuse indignation, on lui renvoyait son texte en précisant qu'on ne pouvait pas le publier. Il s'était passé la chose suivante: le Reader's Digest, revue sérieuse, soumettait les textes envoyés à une véritable petite enquête. [...] Évidemment les enquêteurs avaient fait chou blanc. Pas d'Elzéard à Banon, pas de forêt enchantée à Vergons (Var), bref une imposture manifeste. D'où cette réaction outragée. Mon père trouvait la situation cocasse, mais ce qui dominait en lui à l'époque, je me le rappelle fort bien, c'est la surprise qu'il puisse exister des gens assez sots pour demander à un écrivain, donc inventeur professionnel, quel était le personnage le plus extraordinaire qu'il ait rencontré, et pour ne pas comprendre que ce personnage était forcément sorti de son imagination.»

Pierre Citron

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EAN
9782070634460
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