Portraits mythiques de Marins

Fière Rémy

TANA

LES PIONNIERS

«IL SERA DONC QUESTION ICI DE TOUS CES MARINS QUI ONT EU, SEULS EN GÉNÉRAL, POUR VERTU ESSENTIELLE DE PARTIR EN QUÊTE D'UN AILLEURS INCONNU.»

Peut-on défricher un élément liquide comme une jungle inconnue? L'image est hardie. Car les sillons que l'on trace en mer ne laissent guère d'empreintes. Alors, peut-on plutôt, barre en main, tailler un cap que personne n'a suivi avant vous? La réponse est oui, assurément. Sur l'eau, il est encore (toujours?) possible de quitter la terre pour des entreprises individuelles dont le terme n'est pas encore échu. Il sera donc question ici de tous ces marins qui ont eu, seuls en général, pour vertu essentielle de partir en quête d'un ailleurs inconnu. Pour ne pas avouer qu'ils partaient aussi à la recherche d'eux-mêmes.
«Premiers à...», ils resteront. A avoir traversé l'Atlantique, fait le tour du monde, ou remporté les toutes premières épreuves de course au large. En grande discrétion bien souvent, car, depuis que le monde est monde et que la mer est le terrain de tous les possibles, s'insinue cette notion toujours partagée, quoique parfois galvaudée, de «conquérants de l'inutile», jetée en pâture par ceux-là mêmes qui tentent toujours de diminuer la portée de leur performance. Or, on ne conquiert jamais rien d'inutile, la notion de conquête portant en elle-même le désir d'une emprise sur le monde, ou sur la vie. Et les exemples choisis dans ce premier chapitre le démontrent. Un militaire de carrière, Hasler; deux gentlemen des mers, Chichester, capable de naviguer en smoking, et Knox-Johnston, qui sut un jour colmater sa coque en fuite avec des bandes de coton; Birch, un Canadien venu d'un improbable ailleurs; ou Lamazou, milord d'entre-deux-mers à la figure d'artiste et aux mains de pirate. Cette liste a l'odeur sèche des cartes marines et la saveur inconnue des plats venus d'ailleurs. Et puis Tabarly... Et c'est évidemment par lui que nous commencerons. Comment ne pas évoquer, dans cet ensemble qui chevauche les siècles autant que les océans, cet homme dont le destin tragique contient tout le condensé des existences quasi divines? Eric Tabarly n'est pas mort, car le mot lui-même rappelle trop qu'à la fin l'homme n'est plus. En l'occurrence, il est simplement parti. Vers une éternité qu'il nous a laissée en souvenir. Car c'est un fait acquis: dans les rapports ancestraux entre l'homme et la mer, se profile toujours la possibilité de perdre le combat. On raconte d'ailleurs que l'homme naviguant ne connaît pas de vague à l'âme. Ou plutôt qu'il le refuse parce que sinon il ne larguerait guère d'amarres. Mais on sait aussi que les vents et les houles se moquent bien des plaintes comme des plaisirs ressentis par ceux qui cherchent à les juguler.

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EAN
9782845677807
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