La princesse de Mantoue

Ferranti Marie

GALLIMARD

Barbara de Brandebourg était laide.
Elle a près de cinquante ans, quand Andrea Mantegna la peint, en 1470, au côté de son époux, Louis de Gonzague, entourée de ses nombreux enfants et de la cour de Mantoue. « Dans la Camera depicta, écrit-elle à sa cousine, Maria de Hohenzollern, Mantegna m'a fait des yeux las et jaunes, étirés vers les tempes comme ceux des chats. Rien de délicat dans ma figure. Oserai-je avouer que je suis étonnée de me voir ainsi? Mais dame Julia, la naine, qui se tient à mes côtés, est d'une ressemblance confondante et je ne puis donc douter de la mienne avec ce portrait.
Le regard des autres est sans indulgence pour nos défauts et celui de Mantegna est impitoyable. Je lui en sais gré. La dureté, dans le domaine des arts, est une vertu et il est bon parfois de se voir tel que l'on est. Ma stupeur vient cependant que l'on me reconnaisse là où moi-même je crois voir une étrangère. Cela donne lieu à des méditations plus profondes. S'arrête-t-on à mon apparence et non à ce que je suis? Qui peut le dire? Toi, peut-être, chère Maria... »
Barbara n'a pas tenu rigueur à Mantegna de l'avoir peinte ainsi. Jamais, sa volumineuse correspondance l'atteste, elle ne songea à faire détruire la fresque de la Camera depicta, comme Isabelle d'Este le fit d'un tableau de la main de Mantegna, parce que l'artiste avait négligé de l'embellir, ce que l'orgueilleuse Isabelle n'avait pu supporter.
Barbara de Brandebourg plaçait ailleurs ses ambitions.
Ainsi, elle disait aimer en Mantegna l'humilité qui lui fit écrire, dans la dédicace placée au-dessus de la porte, que la Camera depicta était une modeste composition.
Au XVe siècle, Galleazo Maria Sforza, duc de Milan, disait avec une admiration mêlée d'envie de « cette modeste composition » qu'elle était la plus belle chose du monde.
Au XVIIe siècle, on appela la Camera depicta, la Camera degli Sposi. Elle a depuis gardé ce nom. Les princes de Mantoue, Louis de Gonzague et Barbara de Brandebourg, étaient ainsi liés pour l'éternité.

*

C'est vers la fin de l'année 1456 que Louis de Gonzague appelle Mantegna à Mantoue, d'autres artistes et non des moindres, comme Donatello, ont décliné son offre.
Mantegna ne semble pas pressé de s'installer chez son nouveau maître. Le marquis, que les retards de Mantegna exaspèrent, lui demande de rejoindre Mantoue au plus vite.
Mantegna réside alors à Vérone. Il vient d'épouser la fille de Jacopo Bellini, l'un des plus fameux peintres de Venise. Il a déjà une certaine notoriété et les commandes affluent. Il envoie plusieurs missives à Louis de Gonzague. Elles se ressemblent toutes. Il assure le marquis de sa fidélité, déplore de ne pouvoir le satisfaire: « Votre Seigneurie, écrit-il, sait que mon impatience d'être à Mantoue est aussi grande que la vôtre de m'y voir. »
Cependant, les mois passent et Mantegna n'arrive toujours pas.
Barbara ne fut pas étrangère à sa venue. Les atermoiements de Mantegna, tout grand peintre qu'il fût, l'irritaient. Elle s'en plaint à plusieurs reprises dans ses lettres.
Barbara prit ses renseignements. Elle n'ignorait pas l'ambition de Mantegna et, pour l'attirer à Mantoue, convainquit son mari de lui donner un titre de noblesse.
Louis fut généreux: il offrit au peintre l'écu du titre orné des armes des Gonzague et d'une version de l'un de ses emblèmes. Il ajouta un coupon de brocart rouge damassé d'argent dans lequel Mantegna pourrait se faire couper un habit de cour.
Un mois plus tard, Mantegna est à Mantoue. Il n'aura pas fallu moins de quatre ans et un titre de noblesse pour le décider à s'y rendre.
« Le poisson, écrit Barbara à sa cousine Maria de Hohenzollern, ne reste jamais longtemps indifférent à l'appât. »
Dans ses lettres, Barbara fait souvent montre d'une belle humeur, d'une joie de vivre et d'une curiosité très vive. Après la mort de son mari, le ton change; la langue semble pétrifiée. En particulier dans ses réponses à sa fille cadette, Paola, Barbara témoigne parfois d'une sécheresse de c?ur allant jusqu'à la cruauté.
Ses dernières lettres font songer à la dureté des lignes que traça Mantegna et montrent à quel point le portrait qu'il fit de Barbara de Brandebourg dans la Chambre des Époux devait être ressemblant. Les apparences ne sont jamais trompeuses.
- Gallimard

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EAN
9782070766758
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