L'Irlandais de Bonaparte

Faligot Roger

PLON







Extrait



Les petits démons de Temple Bar

Un jour sans pluie, saint Patrick cueillit un trèfle vert pour décrire en trois feuilles le mystère de la Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Les Gaëls qu'il évangélisait l'acclamèrent et le choisirent comme patron de l'Irlande. Le chiffre trois devint sacré. Un peu plus tard, en ce Ve siècle après Jésus-Christ, le même Patrick fit bâtir trois églises. «Celle du milieu», en gaélique Cill Mheán, donna son nom à une petite paroisse dans le comté Mayo à l'ouest de l'île d'Émeraude, à quinze lieues au nord de la ville océane et enchanteresse de Galway. Cette bourgade - Kilmaine - aurait pu se refléter dans le superbe lac voisin, le Lough Mask, dans lequel frétillent encore de nos jours des bancs de truites brunes et mutines.
C'est dans ce pays verdoyant que vécurent les ancêtres d'un personnage hors du commun qui porte le nom de cette bourgade et dont nous allons conter sous peu la stupéfiante histoire : Charles Edward Jennings Saul, baron de Kilmaine.
Avouons-le, ce titre nobiliaire fut en partie usurpé, fruit d'une supercherie héritée d'un père rusé et calculateur, le Dr Edward Jennings, né à Ballinrobe, à quelques lieues précisément du village de Kilmaine.
Promis à un avenir contrarié mais grandiose, le jeune Charlie Jennings n'habitait pas le paternel comté de Mayo lorsque commence ce récit à l'été 1762. Mais, à l'opposé, au sud-est, à Dublin, cité vibrionnante, la plus grande ville du pays où sa mère Eleanor lui avait donné la vie onze ans plus tôt.
Jadis place forte des Vikings à qui elle doit son nom, autant que cité des Gaëls, Dublin ressemblait alors à une Irlande en miniature par la disparité de ses habitants venus des quatre grandes provinces du pays. Coupée en deux par la sombre rivière Liffey, c'était une copie architecturale de Londres par la disposition et le nom de ses rues nouvelles. Elle vivait alors sous la tutelle de George III d'Angleterre, troisième roi de la monarchie de Hanovre, lequel favorisait la foi protestante propagée par les colons écossais et anglais contre celle des Irlandais d'origine, à qui l'on interdisait de professer ouvertement leur religion catholique.
Charlie était trop jeune pour concevoir ces subtilités. Cela dit, une malice et un toupet naturels l'avaient déjà convaincu que le monde des adultes ne résisterait pas longtemps à ses assauts.
En admettant qu'en ce matin de juillet l'auteur et le lecteur eussent marché d'un pas vif et alerte, ils l'auraient suivi tandis qu'il remontait à grandes enjambées Fishamble Street, la rue du «Marché aux poissons». Et ils auraient gagné Wood Quay, l'ancien appontement viking bordant la Liffey contre lequel ballottaient, voiles repliées, les lougres et les hookers revenus dans la baie de Dublin pour y jeter l'ancre. Des bateaux de pêche remontaient le cours de la rivière, poursuivis par des mouettes voraces espérant faire bombance des poissons arrachés aux cageots que déchargeaient les hommes sur l'autre rive.
Effectuant une volte-face, Jennings junior se retourna vers Fishamble Street qu'il contempla comme un royaume qu'il aurait conquis, tandis qu'une ribambelle de gamins essoufflés arrivaient à la hauteur de leur chef. Veine bouillonnante, cette rue était la plus ancienne de Dublin. Avec d'autres artères adjacentes, elle faisait puiser son coeur depuis l'âge des anciens Celtes en alimentant en produits frais le château auquel elle menait.



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EAN
9782259216654
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