L'automne des incompris

Ehrhard Hugo

LE DILETTANTE







Extrait

L'examen - Pensez-vous que les hommes devraient partager plus équitablement leurs richesses ? C'est un piège, pensa Franck Secondi. Cette question tombait sous le sens. Même un ultralibéral féroce n'aurait pas pris le risque de répondre «non» dans de telles circonstances. Pas face à l'un de ces exaltés. Tout le discours des intégristes intellectuels s'articulait autour du «grand déséquilibre» de notre société, auquel ils entendaient remédier. Franck Secondi ne s'était-il pas lui-même aventuré jusque-là pour avoir adhéré à cette idée ? Remédier à un déséquilibre ne revenait-il pas à partager équitablement ? Il n'y avait pas lieu de douter, donc Franck Secondi doutait. Et l'inspecteur des douanes le sondait. Il se gaussait intérieurement de lui. Il savait que Franck Secondi doutait. C'était un piège ! Un piège ! De la pointe de son index gauche, l'inspecteur des douanes redressa ses lunettes. La climatisation de la pièce cessa soudain de ronronner. Dehors, de l'autre côté des murs, on entendit le cri d'un homme fatalement contrarié. - Oui, c'est ce que je pense, trancha Franck Secondi en regrettant aussitôt son élan intempestif. - C'était un piège, lança crûment l'inspecteur des douanes. Un non-sens. Un non-sens essentiel. Une richesse ne se partage pas équitablement, par définition. Si on la partage équitablement, une richesse cesse d'être une richesse. N'est-ce pas ? Partager équitablement les richesses ! Et pourquoi pas servir la soupe dans des passoires ? Mais oui, pourquoi pas ? C'est un concept qui relève de la même intelligence. Après avoir exposé son point de vue, l'inspecteur des douanes laissa s'installer un autre silence pesant. En tant que candidat, Franck Secondi devait réagir, prouver sa valeur, faire étalage de sa science ; voilà ce que l'on attendait de lui. Toutefois, en cas de nouvel impair, il compromettrait ses chances de survie. Il se contenta donc de dire : - Ah oui, tiens, c'est pas faux. C'était minable. Il lui fallait alléger l'atmosphère, briser la glace. Vite. - Bon, il y a quand même un truc que je voudrais vous demander, vous qui êtes, euh, habitué à tout ça : vous trouvez que je suis à ma place ici ? Franchement ? Cette fois-ci, les jeux étaient faits. Franck Secondi voulut mordre ses propres lèvres jusqu'au sang. Par quelle malédiction trouvait-il systématiquement le moyen de prononcer les mots qu'il ne fallait surtout pas prononcer ? Il songea que l'auteur du dicton «Il n'y a pas de question idiote», génie ou pas, était un sadique ; ceux qui le croyaient, des demeurés. Les questions idiotes existaient bel et bien ! C'étaient des bombes à retardement, à même de révéler vos faiblesses les plus inavouables. Une seule phrase maladroitement formulée, bafouillée sans patience, et le manque de cohérence de votre démarche se voyait exhibé au grand jour. L'opprobre, puis l'oubli.



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EAN
9782842638054
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