Joë

Fonclare Guillaume de

STOCK







Extrait



Le 21 mars 1918, un grand fracas d'obus et de mitraille déchire le petit jour sur le front de la Somme ; cinquante divisions allemandes se lancent à l'assaut des lignes britanniques et françaises avec le fol espoir de faire, après quarante-quatre mois de guerre, la percée décisive. Les Allemands emploient leurs Sturmtruppen, petits groupes autonomes qui réduisent les défenses pour le gros de la troupe qui occupera ce qui aura été conquis. Au fond des tranchées, on s'embroche à coups de baïonnette, on se tabasse au marteau, à la masse d'arme, au manche de pioche, on détruit fortins et bunkers à l'explosif et au lance-flamme ; il faut avancer vite et on ne fait pas de prisonniers. Les lignes alliées sont enfoncées, mais on recule dans un désordre qui n'est pas une débâcle, on réorganise les défenses pour les déployer dans la profondeur : moins d'unités en première ligne, à charge pour elles de ralentir et d'user l'ennemi, pour qu'il arrive affaibli devant une deuxième et une troisième ligne renforcées qui arrêteront sa progression. Fin avril, les Allemands sont à bout de souffle ; ils veulent en finir à tout prix en jetant leurs forces dans un dernier effort. Le 27 mai à l'aube, cinq mille pièces d'artillerie bombardent les positions françaises du Chemin des Dames, et sept divisions déferlent sur quinze kilomètres de front, bousculant tout sur leur passage. En fin de journée, les Allemands sont sur les bords de l'Aisne, et tout le front est sur le point de céder.

Ce matin-là, vous ne dormiez pas. Depuis la veille au soir, votre régiment roulait vers son nouveau point de stationnement, un endroit où l'on vous débarquerait pour monter à l'assaut d'un réseau de tranchées, ou d'une redoute, ou bien encore d'un village en ruine hérissé de défenses. C'est ce qu'on réservait au 156e corps d'attaque, et à vous, sous-lieutenant Joë Bousquet de la 3e compagnie du 1er bataillon, parce que vous êtes le spécialiste des missions difficiles. On vous dépose au lever du jour sur une vaste plaine ondoyante de blés dans les parfums d'une aube de printemps. L'ennemi est là, derrières les collines, qui arrive au son du canon. On vous tient d'abord en réserve, en espérant qu'on pourra se passer de vous. Les combats font rage toute la matinée, et bientôt, il ne reste que votre division pour tenir la ligne ; derrière, c'est le grand vide, une étendue sans soldats qui court jusqu'à Paris. Alors en fin d'après-midi, on vous donne l'ordre d'occuper un bosquet qui est devenu, parce qu'il se tient sur un point haut, une forteresse imaginaire qu'il faudra tenir coûte que coûte, même si cela doit se payer un bon prix de morts et de blessés. Il fait beau, vous marchez au milieu des bleuets et des coquelicots qui font sur les immensités d'avoine et de blé des taches vives et presque joyeuses. Vous atteignez sans heurt vos positions, retranchés derrière un talus. Puis les obus commencent à pleuvoir ; les soldats ennemis arrivent, ils sont beaucoup plus nombreux que vous et leur feu est terrible.



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EAN
9782234077201
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