Le corps des femmes

Extrait

1

A la fête du Livre et de la Vigne, au clos Vougeot, j'attends patiemment le chaland parmi quelques-uns de mes livres. Depuis plusieurs heures, je vois défiler devant moi des femmes les bras nus, les épaules et la naissance des seins découvertes, la croupe dans des jupes ou des jeans ultraserrés... Il ne fait pas très chaud en ce bel automne, or ce quasi-nudisme a commencé d'envahir les rues, les lieux publics, les magazines, les écrans... Serait-ce une mode ?
Ici, dans cet ancien et noble manoir bourguignon, au milieu d'un sage océan de vignes, cette exposition inattendue de chairs féminines non seulement me gêne, comme tout ce qui est «trop», mais m'incite à réfléchir : à quoi rime un tel étalage qui frôle la provocation ?
C'est alors que, tel l'aigle noir chanté par Barbara, l'idée s'abat sur moi :
«Le corps des femmes appartient aux hommes !»
Lorsqu'une conviction, sans doute mûrie dans l'inconscient, vient aussi brutalement au jour, c'est comme lorsqu'une flèche atteint le coeur de la cible et fait mouche : tout vibre alentour !
Je commence par en rire.
Quoi de plus radicalement opposé à mon expérience, à mes opinions, à mon destin ?
Mais la pensée persiste, s'impose... L'excellent vin dont nous étions abreuvés me serait-il monté à la tête ? Il faudrait que j'en parle à quelqu'un, de préférence à un homme, un auteur présent lui aussi à ce spectacle de quasi-strip-tease, et qui serait sans préjugés.

2

Pourquoi pas à mon ami Malek Chebel, lui aussi présent à ce Salon ?
L'un de ses livres, hors politique, m'a enchantée : sa version du Kama-Sutra arabe. Un autre, L'Esclavage en terre d'islam, m'a révélé un sujet jusque-là tenu sous le boisseau : l'esclavage tel qu'il fut longtemps pratiqué chez les musulmans et qui perdure dans des sociétés orientales qui se croient et se disent modernes.
Voilà un écrivain, grand travailleur, qui n'a peur de rien, pense et s'exprime à sa guise et librement sur tous les sujets.
A déjeuner, comme nous sommes assis côte à côte, je ne résiste pas à l'envie de lui confier ce qui s'est mis à m'obséder.
- Malek, il m'est venu une idée et j'aimerais savoir ce que tu en penses...

(...)