L'ombre d'un père

Cadier Florence

THIERRY MAGNIER

Je me suis planqué dans mon coin habituel. Une ruelle où j'étais tranquille. J'ai tiré sur un joint en veillant à ce qu'un flic ne passe pas par là. Fallait pas gâcher mon plaisir. A cette heure-ci, ils faisaient des rondes dans Newtown ou Courtenay Place, et ils ne traînaient pas encore dans Cuba Street. Il était trop tôt. Comme d'habitude, ça me piquait la gorge, m'arrachait une toux, j'aspirais cette fumée acre. Mais pour rien au monde je m'en serais passé. Très vite, la tête m'a tourné, dressant un filtre entre moi et mes démons.
Le vent s'était levé sur Wellington et chassait les derniers nuages qui avaient obscurci la journée. Il s'engouffrait dans mon blouson ouvert, je frissonnais.
Apera, mon meilleur ami, m'attendait avec William, un nouveau dans le lycée, et Talia. Dès que je pensais à elle, je paniquais, j'avais le souffle court, les mains moites. Talia me désarçonnait et je rêvais d'enfouir mes doigts dans sa chevelure sombre, d'embrasser ses lèvres moelleuses. J'imaginais la courbe de ses seins et mon désir montait. Talia, on avait tous envie de se coller à son corps sublime. Sauf que je n'osais pas. J'espérais secrètement que le shit m'aiderait à me décoincer.
Le mégot brûlant a mis le feu à ma bouche, je l'ai jeté et me suis décidé à entrer.
On ne voyait rien à travers les vitres, des posters des prochains concerts couvraient toute la surface des carreaux. Ça m'a contrarié, je voulais m'assurer qu'ils étaient là. Je détestais arriver le premier, être obligé de poireauter seul à une table en surveillant l'entrée. Les gens dans le bar pouvaient penser qu'on m'avait posé un lapin et je redoutais leurs regards condescendants. La parano me gagnait.
Dans la salle, c'était pire que dans un stade de rugby, le volume sonore des voix couvrait celle de Kimbra qui chantait Sertie Down, ma chanson préférée, et si William ne m'avait pas repéré, j'aurais fait demi-tour.
- Eh Bro, viens là!
Talia a tourné la tête, elle avait des yeux noirs qui appelaient l'amour, des boucles sombres dont l'une formait un coeur sur son front. J'ai tapé dans leurs mains et elle s'est poussée pour me laisser une place sur la banquette en skaï. Ils avaient déjà une pinte de bière devant eux. Apera est allé m'en chercher une au bar, il m'a demandé ma carte d'identité. J'ai grommelé:
- À chaque fois, on me fait le coup. Je les ai, mes dix-huit ans!

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EAN
9782364742178
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