Le milieu de l'horizon

Buti Roland

ZOE

C'était au mois de juin de l'année 1976. C'était le début des grandes vacances de mes treize ans. C'était l'année de la sécheresse.Des wagons-citernes acheminaient de l'eau puisée au fond des lacs vers les villages; sous un ciel aussi jaune que du papier maïs, les militaires avec leurs camions et leurs motopompes s'occupaient des arrosages de secours pour sauver les plantations qui pouvaient encore l'être. Les autorités avaient activé le plan ORCA.Il ne pleuvait plus depuis des semaines; comme il n'avait pas neigé sur les montagnes durant l'hiver, les nappes phréatiques ne s'étaient pas remplies au printemps. Tout était sec en dessous, tout était sec en surface et notre campagne ressemblait à un vieux biscuit dur. Certains disaient que le soleil s'était soudain rapproché de la Terre; d'autres disaient que la Terre avait changé d'axe et que c'était elle qui, au contraire, était attirée par le soleil. Je pensais que cette chaleur particulière était causée par un astéroïde tombé non loin de chez nous, par un gros corps céleste constitué d'un métal inconnu dégageant des vapeurs toxiques invisibles. Comment expliquer autrement que par des gaz lentement diffusés vers les maisons du village nous empoisonnant à notre insu la modification insidieuse du caractère de maman, sa transformation en une autre personne, la perte de la maîtrise de nos vies au cours de cet été, la fin du monde de mon enfance?Depuis quelques jours, Rudy me disait que l'herbe sentait mauvais. Quand je lui avais demandé pourquoi, il m'avait répondu triste et sérieux que c'était parce qu'elle souffrait. Rudy était exactement le genre d'individu capable d'imaginer une végétation qui manifesterait son inconfort par une transpiration malodorante. Dans l'air de notre arrière-cour parsemée de brins d'herbe malingres piétines par le bétail, il planait une odeur de céleri et de soufre. Le vert terne du lierre agrippé au muret du jardin potager était devenu presque noir. Le soleil chauffait la pierre, froissait ses feuilles, en tordait les tiges ratatinées qui faisaient un dernier effort pour ne pas se détacher de leur branche et basculer dans le sol sablonneux. En m'approchant pour observer les crampons de la plante, pareils à de minuscules poings serrés par le désespoir, je devais bien admettre qu'elle puait.

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EAN
9782881828942
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