Fixer le ciel au mur

Briet Tieri

ROUERGUE







Extrait



L'histoire commence aujourd'hui mais je ne sais pas ce qu'elle dira. Un jour de canicule dans une ville inconnue, dans ce couloir d'hôpital où tu vas t'engouffrer au début du mois d'août, décidée à guérir maintenant que tu sais le danger. Tu es venue pour te soigner, arracher la maladie qui t'a noué l'oesophage à la fin de l'hiver, essayer de toutes tes forces. Tu fais confiance aux médecins, à la manière dont ils t'ont écoutée depuis des mois. Au moins le temps que dureront encore les grandes vacances, cette fois tu veux bien tenter avec eux la thérapie qu'ils recommandent. Tu viendras entre leurs murs, tu as décidé qu'ils pourraient t'ausculter, te peser, t'hypnotiser aussi puisque ça peut les aider à comprendre. Ce n'est pas rien d'avoir accepté. Ce n'était pas un piège. On a parlé, toi et moi, on a pleuré, je m'en souviens. Toi seule pouvais leur dire oui. En septembre le lycée reprendra, alors tu comptes les jours et les nuits qu'il te reste pour guérir : en terminale tu vas avoir besoin d'un corps qui aura retrouvé un peu de ses forces, et de laisser derrière toi son ombre presque épuisée. Oublier le pâle fantôme qui chancelait sous mes yeux en sortant de l'hiver.

Alors tu marches jusqu'à la chambre 4, moi je te suis dans les couloirs. J'ai ton sac à l'épaule. Devant nous il y a cet escalier puis des verrous sur le palier, pour empêcher de circuler des chambres jusqu'aux salles communes. Un infirmier nous montre les lieux et, comme prévu, c'est un lieu de tristesse et de bonne volonté. La chambre a une fenêtre qu'on ne peut pas ouvrir, l'armoire a deux parois défoncées, l'infirmier s'en excuse. Tu y poseras tes vieux tee-shirts, si peu d'habits pour autant de crayons, et par-dessus tes carnets les cartouches d'encre bleue qui ont taché ta trousse de lycéenne.

C'est ton histoire et c'est aussi la mienne, dans l'épreuve qui les délie maintenant l'une de l'autre. Je me demande s'il est déjà temps d'apprendre à devenir un père éloigné de ses enfants. De l'hôpital, à l'ouest de Nîmes, jusqu'à notre maison au milieu d'Arles il n'y a pas plus d'une demi-heure d'autoroute, à peine le temps de repenser à ce qui vient tout juste de nous séparer, toi et moi. Je gare la voiture le long du fleuve, à l'ombre des grands platanes qui suivent la courbe du quai. Moteur coupé, pensées presque mortes, j'ai la chanson de Nino Ferrer dans la tête et toi qui vas dormir là-bas. Je grimpe les quelques marches permettant d'atteindre le haut de la digue. Dans Arles, c'est un endroit où j'aime revenir. Une longue promenade a été aménagée en surplomb du méandre, et un muret de pierre blanche permet de s'y asseoir face à l'axe du fleuve, tourné vers le nord où l'embâcle a formé presque une île, à mi-chemin des grues de la zone portuaire en amont. C'est par ce passage que le vent déferle à l'intérieur de la ville, mais c'est aussi par là que les yeux peuvent encore échapper au dédale des ruelles remontant jusqu'aux arènes. Si on vient face au fleuve pour lire ou pour écrire, tôt le matin de préférence, avant que la chaleur de l'été n'envahisse la région, c'est l'étendue du ciel qui vient happer tout le regard, juste avant que les yeux ne retournent au papier recouvert d'écritures. C'est difficile, c'est pour t'écrire que je cherche mes mots. Je crois encore que dans cet hôpital une lettre parviendra peut-être à t'apporter un peu de forces à partager. Alors je trace ces premières phrases, je les rature encore une fois pour déceler celles que je pourrai t'envoyer tout à l'heure.



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EAN
9782812606410
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