Le Coeur-espace

Inédit, 1945. "Le Coeur-Espace fut pour moi une authentique rupture, celle du discours qui jusqu'alors se pliait à un sens que j'avais présent à l'esprit, telle une donnée première que je voulais que le poème pût dire. Ce discours-là s'effaçait maintenant devant des mots, dans des phrases, dont la signification m'était pour une grande part inconnue, tout en restant, d'évidence, totalement l'expression de quelque chose de vrai : précisément la parole de l'inconscient, dont l'écriture automatique surréaliste faisait entrevoir le possible, bien que ce fût en le censurant. Et je me souviens de ce sentiment de seuil qui s'ouvre que me donnèrent bientôt les vers du Coeur-Espace, une impression de descente dans un espace verbal intérieur à moi, avec entrevision de figures fantasmatiques, effrayantes d'ailleurs, engluées dans les pétrifications d'une enfance par bien des aspects mauvaise. Je me souviens que je les écrivis avec enthousiasme, voyant se reformer et s'accumuler à cet horizon noir, orageux, mais gros d'une sorte d'espoir jamais éprouvé encore, les grandes masses sombres d'événements, de souvenirs, de questionnements, de nostalgies mais en vain, de frustrations, dont m'avaient environné de très longue date et même accablé les années que Baudelaire avait eu la chance, dans son malheur, de pouvoir estimer "profondes"."