Y revenir

Ané Dominique

POINTS

J'ai appris au fil des années que les bouts du monde étaient innombrables. J'ai longtemps cru que Provins était le seul possible, l'unique port au seuil d'une mer qui n'existait pas. J'ai cru que j'étais né au terme d'un voyage que je n'avais pas fait, et que je ne pouvais accomplir qu'à rebours.

La première image qui me vient: une allée qui conduit à une pente terreuse, où je m'embourbe quand il pleut, et il pleut souvent ici. Des ruines de remparts la délimitent, un décor gothique que je côtoie tous les jours sans y prêter attention, accaparé par l'effort. Car la pente est raide, et arrivé en haut, je suis en nage, même en hiver. La Tour César me toise, elle a huit siècles, et moi onze ans. Je longe des murs décrépits. Au bout d'une rue étroite, apparaît une porte blanche, entrée annexe, pour ainsi dire dérobée, du collège. Il ne tient qu'à moi de faire machine arrière. J'appuie pourtant, et la porte s'ouvre, lentement. J'entre.

Trois ans plus tôt: nous vivons encore au village. La Bretonnière est une enclave, cernée de champs de betteraves, et accablée à l'année par un ciel incontinent. Des corbeaux croassent au-dessus des terres striées.

Pire, il n'y a guère que la commune attenante de Rouillot, aux lotissements crasseux, au château d'eau noirâtre. Y vivre s'apparente à un déclassement. C'est là qu'habite la famille Cré-tard, pourvoyant à cadence régulière l'école en petites frappes, et cumulant à mes yeux toutes les tares dont seule une famille nombreuse peut se prévaloir. Depuis ma chambre en hauteur, je regarde Rouillot à quelques centaines de mètres: je dois m'estimer heureux d'être là.

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EAN
9782757831557
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