Quand les Français faisaient l'histoire

Adler Alexandre

GRASSET







Extrait



Extrait de l'introduction

Entre Jean Moulin et le général de Gaulle, entre le Roi Perdu, martyr de l'«Armée des ombres», et le chef lumineux qui, depuis Londres, accompagne de gestes mais aussi de la voix la lente et inexorable épopée nationale, la France hésite encore à ce jour sur cette nouvelle identité, conquise sur elle-même. Car s'agissant de la Résistance, rien n'est simple, et rien, semble-t-il, ne le sera jamais. Comme si le goût de la clandestinité et la nécessité vitale du clair-obscur avaient conspiré, dans la réalité mais aussi dans le souvenir, à effacer les contours, rendre la perception trop foisonnante, trop simultanée, trop «incertaine» pour reprendre l'épithète extraordinaire dont Claude Bourdet qualifia, en une formule définitive, toute l'intrigue : «l'aventure incertaine».
L'État français agissait dans la clarté et la distinction de son droit administratif, de ses protocoles, parfois séculaires, de fonctionnement ; la Résistance, au contraire, ces disjecta membra qui se cherchent peu à peu une organisation structurée et une dynamique vitale au travers d'épreuves d'une intensité inouïe, a, au contraire pour caractéristique de s'instaurer dans la complexité. On y trouvera certes une grande pluralité de sentiments, patriotisme exalté, nationalisme intégral, messianisme internationaliste en provenance directe de Moscou ou de Genève - la défunte Société des nations - et aussi sentiment élégiaque de la fin de la France, chagrin irrépressible des années de honte ou exaltation jubilatoire d'une jeunesse qui devient immortelle d'avoir su sacrifier jusqu'à l'espérance apparente. Mauriac, Malraux, Aragon, et même la somptueuse retraite parnassienne de Saint-John Perse jalonnent également, dans leur irréductibilité stylistique, cet évident foisonnement. Et que dire de la pensée militaire d'une Résistance qui atteint aux laboratoires alchimiques de la bombe atomique - Bertrand Goldschmidt, ou bientôt Yves Rocard - engagés latéralement dans la grande entreprise d'Oppenheimer à Los Alamos, tandis qu'au même moment, à l'autre bout, presque médiéval, de la chaîne de l'effort de guerre de la France combattante, deux Compagnons de la Libération comme Monsabert avec ses goumiers et Méric avec ses tabors descendus de l'Atlas, couvrent l'armée de la France résurgente de la très nouvelle et très ancienne gloire djihadiste des guerriers du Maroc. Ceux-ci rétablissent l'honneur de toute la France avec la gloire ineffaçable de leur peuple. Entre ces deux infinis belliqueux, séparés de plusieurs siècles d'histoire vécue, le peuple des clandestins quadrille le territoire occupé de ses «réseaux» dont l'activité croissante confère à ces années une sorte d'existence double et aléatoire. C'est, en effet, ce monde du Dernier métro où de couvre-feux violés pour des rendez-vous impromptus, une masse critique déjeunes cadres de la Résistance apprennent, pour la première fois, une illégalité qui donnera pourtant ses fondements à l'État restauré. Ce dernier en conservera un certain goût de l'audace, parfois génial, parfois irréfléchi, une irrévérence constante que seule l'autorité du général de Gaulle pourra, peu à peu, rétablir à sa manière, mais seulement treize ans plus tard, et grâce à la tragédie algérienne. Entre-temps, cette clandestinité balbutiée, ces émissions de radio brouillées mais vivantes, ces fausses identités qui finissent par devenir les vraies, et ces rencontres improbables des aristocrates révoltés, des prolétaires assumés et des bourgeois réinventés, vont accoucher de la France moderne, nous redonner un style, une pensée et même cette élégance désinvolte que symbolisera un Gérard Philipe interprétant Le Prince de Hombourg de Kleist sur la scène de Jean Vilar. Mais aussi la solidité bougonne et explosive d'un Jean Gabin, véritable héros de la Division Leclerc, synthèse de la colère rentrée des gaullistes et de la détermination prolétarienne des communistes à assumer enfin, et dans l'absolue dignité, «ce droit de bourgeoisie» qu'ils s'étaient conquis par la gloire des armes. (...)



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9782246811343
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